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Les grandes « affaires » historiques à Toulouse (4 ème partie)
Nouvelle visite toulousaine le 15/06/2018 dans le quartier Riquet pour évoquer l'affaire Cécile Combettes (1847). Éclairages historiques sous le regard expert de Michel Aliaga, guide conférencier du jour.
L’affaire Cécile Combettes
D’après la conférence de Michel ALIAGA du 15/06/2018 et les notes détaillées d’André Maumus.
Vingt ans après…
Il aura fallu près de 20 ans pour que la vérité sur ce drame survenu le 15 avril 1847 soit enfin connue.
En effet, le 10 Janvier 1866, on découvre à l’écluse du pont des Minimes, le corps d’une femme enveloppé dans ses jupons ; elle est sans tête, le corps a été plié en deux. Il s’agit de Marie Guillaumet, connue de la police, pour ses mœurs légères, et vivant en concubinage avec Jean-Joseph Aspe, aubergiste, natif de Miglos en Ariège. Le couple est toujours en dispute.
Des témoins ont vu Aspe tirer un lourd paquet ; on retrouve dans sa chambre des affaires de Marie, et des tâches de sang. Il est arrêté et inculpé. Mais aucun avocat ne veut défendre sa cause auprès du tribunal. Aspe demande alors à être défendu par Jean Pillou, fils du Président du Tribunal d’appel, mais Pillou refuse.
L'écluse des Minimes - carte postale de 1908
Puis l’évêque de Pamiers rend visite à Jean Pillou et lui apprend qu’au moment du crime, Aspe s’est confessé au curé de Miglos. L’homme n’en serait pas à son premier assassinat. Il aurait à voir avec celui de Cécile Combettes survenu 19 ans plus tôt. L’évêque demande à Jean Pillou de défendre l’accusé et Pillou accepte de rencontrer le prévenu à la prison St Michel. À l’évocation de l’affaire Combettes, Aspe devient fou furieux. C’est une brute épaisse, que Pillou refuse alors définitivement de défendre.
Aspe, condamné pour le meurtre de Marie Guillaumet, finira ses jours au bagne de Cayenne, sans avoir jamais avoué publiquement son implication dans celui de Cécile Combettes. Cela privera, hélas, Jean-Louis Bonnafous, Frère Léotade en religion (1), injustement condamné en 1847 pour ce meurtre, de toute réhabilitation.
Les faits
Revenons en arrière, 15 Avril 1847. A l’emplacement actuel de l’église St Aubin, il y a un cimetière désaffecté entouré d’un grand mur en terre crue. La rue Riquet est une ruelle. La rue d’Aubuisson est la rue des cimetières. C’est là que ce 15 Avril, un drame affreux se joue tout près du Pensionnat Saint-Joseph tenu par les Frères des Écoles Chrétiennes : le viol puis l’assassinat de Cécile Combettes. Du fait du très jeune âge de la victime (14 ans et demi), ce drame aura un retentissement international : il y aura des gravures, des complaintes chantées à New York et à Londres.
Le jour du crime, à 9 heures du matin, il pleut beaucoup. Le sieur Conte, relieur pour la communauté des Frères, se présente au vestibule du Noviciat accompagné de Marion Roumagnac son employée, qui porte une corbeille de livres, et de Cécile Combettes qui transporte également quelques volumes. Cécile est apprentie depuis 1846 pour devenir brocheuse. Son stage devait s’achever quelques jours à peine après le drame.
Entre 9 et 10 heures, les livres étant remis aux Frères, Conte congédie Marion et se rend dans le bureau du Frère Directeur, laissant Cécile dans le vestibule après lui avoir confié son parapluie.
Quand Conte revient, Cécile a disparu. Le concierge affirme ne pas avoir vu la jeune fille ressortir.
Malgré la disparition inexpliquée de son apprentie, Conte part le soir même à Auch pour porter 115 francs qu’il devait aux supérieurs des Frères de la ville, et revient à Toulouse le 17 au matin.
Il est jeté en prison, pour 4 mois, car son comportement paraît suspect. Il aurait pu être le coupable idéal. 10 ans plus tôt, il avait failli faire de la prison, pour avoir agressé sa belle-sœur, alors mineure, et l’avoir contrainte à la prostitution
Au matin du 16 avril, on retrouve le corps de Cécile dans l’ancien cimetière au pied du mur en pisé qui le sépare du jardin des Frères (aujourd’hui au N° 25 de la rue Riquet). On suppose alors que Cécile aurait été conduite du Noviciat au Pensionnat par le tunnel de service passant sous la rue Caraman, puis battue, violée et assassinée. Son corps aurait ensuite séjourné dans la grange avant d’être basculé nuitamment par-dessus le mur d’enceinte jouxtant le cimetière.
L’enquête et l’instruction
L’enquête est menée par le commissaire Lamerle.
Cécile est fille d’une famille pauvre d’artisans, qui logent au 3 rue de la Daurade. La jeune fille est connue dans son quartier, les Sœurs lui ont appris à lire et à écrire. C’est une élève travailleuse. Ses obsèques auront lieu Le 20 Avril 1847. L’enterrement se déroule au cimetière de Terre-Cabade. Elle n’a pas de tombe, car ses parents n’ont pas d’argent, mais un bourgeois toulousain compatissant, Benoît Barthélémy, la fait inhumer dans la tombe familiale.
L’assassinat est qualifié de double crime car précédé du viol de l’adolescente. La sauvagerie du meurtre a un retentissement énorme, cette affaire déchaîne la presse et la politique locales. Sept journaux différents à cette époque, ultra, radical, bonapartiste, anticléricaux, etc. vont régler leurs comptes jusqu’à proférer des insultes réciproques.
Charles Goirand de la Baume et le Président du Tribunal, Nicolas Doms, procureur du Roi, vont mener une enquête méticuleuse, assistés de 3 médecins légistes. Mais ils vont instruire un procès uniquement à charge. Essentiellement sur la foi des allégations du sieur Conte, qui cherche avant tout à se disculper, un des Frères de l’institution, Frère Léotade (Jean-Louis Bonnafous) est préjugé coupable, sans véritable preuve démontrant sa culpabilité.
Frère Léotade fera 6 mois de cachot noir, sera battu, ce qui était pourtant interdit. Tous les témoins à décharge ont fait au minimum 1 jour de prison. Conte et le Frère Jubrien, désigné par Conte comme présent au moment des faits avec le Frère Léotade, font 4 mois de prison.
Même Marion Roumagnac est jetée en prison. Aujourd’hui, on sait que le condamné était innocent. Le vrai coupable n’a jamais été inquiété pour l’assassinat qu’il avait commis.
L’institution des Frères était scindée en 2 : d’une part le Pensionnat, énorme bâtisse, avec une grande cour, un jardin et une grande chapelle, d’autre part un noviciat, où se tiennent les Frères, avec sa propre chapelle. La rue Caraman séparait les deux implantations, et un tunnel sous la rue permettait de passer de l’une à l’autre. Y vivaient 186 Frères qui, au cours de l’enquête, durent subir une humiliante « inspection corporelle ». Seuls 62 novices de moins de seize ans en furent épargnés.
Le frère préjugé coupable était rentré dans l’institution en 1838. Il était linger pour le pensionnat et le noviciat et assurait quelques fonctions d’économat. Les magistrats ont pensé que le Frère présumé responsable du double crime avait attiré Cécile Combettes du parloir du noviciat (au N° 15 rue Riquet d’aujourd’hui) au jardin. Ils pensaient qu’elle était encore vivante en traversant le tunnel, mais on sait depuis qu’elle était déjà morte, le crime ayant été en réalité commis dans la cuisine contigüe au vestibule (2).
Le procès
Le procès va durer 6 mois. Me JOLY, avocat de la partie civile, est républicain et anticlérical. Le procès est interrompu le 23 Février 1848, la France changeant de régime. Il reprend en Mars, avec Me Rumeau comme avocat de la partie civile.
Les Frères des Écoles Chrétiennes ont un comportement maladroit. Pour les enquêteurs, le corps a été projeté depuis le jardin, donc le coupable est dans l’institution. Le Frère directeur affirme que c’est impossible. Malaise chez les juges. Le Frère directeur fait alors venir l’évêque de Mont de Marsan, qui le soutient. Puis l’archevêque de Toulouse.
Mais les preuves semblent évidentes : pétales de fleurs, plumes de pigeon, paille du grenier, empreintes dans le massif de géraniums… Il est clair pour les magistrats que Cécile est morte dans l’enceinte de l’institution, donc très certainement tuée par l’un des Frères. Les Frères se défendent maladroitement.
La justice décide finalement que Frère Léotade est le coupable. Malgré les dénégations persistantes de l’accusé, on s’en tient alors au scénario suivant : Frère Léotade et Jubrien se sont attardés dans le vestibule. Puis Frère Léotade a attiré Cécile en lui disant qu’il allait lui montrer les lapins et les pigeons dans la grange, l’a ensuite violée et assassinée puis, la nuit suivante, pris une échelle et jeté le corps par-dessus le mur d’enceinte.
Démonstration de J.M. Cazeneuve : emplacement du corps
Considérée comme preuve à charge, une chemise souillée marquée du N° 562 a été trouvée dans le linge sale des Frères. On ne sait à qui elle appartient, car les chemises étaient communes à tous, celles du pensionnat étant brodées différemment de celles du noviciat. Or c’est Frère Léotade qui est responsable du linge, qu’il change tous les 7 jours. Il est donc aisé de faire le lien.
Les témoignages des Frères et du Frère directeur changeaient d’une audition à l’autre, ce qui indisposait Charles Goirand de la Baume et Nicolas Doms. Charles Goirand de la Baume était royaliste, catholique. Nicolas Doms aussi, mais c’était un libéral, il n’appréciait guère les congrégations religieuses.
Frère Léotade se contredit aussi. Il est doux, serein, calme… « arme habituelle des gens d’Église ». Les Frères pressentaient que c’était quelqu’un d’entre eux, mais il fallait sauver l’institution. Et Frère Léotade, s’est laissé accuser pour sauver l’institution. Tout comme dans l’affaire Dreyfus, où l’on n’a pas voulu que l’armée soit mise en cause. Pendant tout le procès et sa détention, il ne cessera de répéter qu’il est innocent.
Me Gasq est l’avocat de Frère Léotade, (Louis Bonnafous). C’est un des plus grands avocats au pénal, il fait un plaidoyer magnifique, démontant les accusations. Mais Louis Bonafous est néanmoins condamné. Goirand de la Baume aurait dû faire un résumé de l’affaire, en fait il fera un réquisitoire.
Normalement, Louis Bonnafous aurait dû être guillotiné ; sa peine sera commuée en travaux forcés à perpétuité. Il sera envoyé au bagne à Toulon. À son arrivée, il est accusé par ses co-détenus de monstre violeur d’enfants. Mais par la suite, il sera considéré comme un saint homme. Le directeur de la prison ne croira plus à sa culpabilité. Il mourra 19 mois après son arrivée à Toulon. Il n’aura de cesse de répéter : « Je suis le forçat en J.C. ». Louis Bonnafous était issu d’une famille aveyronnaise paysanne misérable. Il n’avait que 3 ans au décès de son père, 25 ans lorsque sa mère disparut à son tour.
La rue Riquet aujourd'hui
L'immeuble de la CAF occupe l'ancien emplacement du Noviciat
Prolongements
On sait aujourd’hui que le meurtrier de Cécile Combettes était Jean-Joseph Aspe. Mais Bonnafous (Frère Léotade), pour les raisons évoquées plus haut, n’a jamais eu droit à un procès en réhabilitation. En 1866, les juges ont seulement jugé Aspe pour le crime de la femme coupée en morceaux, Marie Guillaumet.
Un grand avocat français, J.M. Cazenave, a demandé à suivre le procès. Il n’a cessé de dénoncer l’iniquité du procès fait à Louis Bonnafous. Après la condamnation, il écrivit 3 lettres à Napoléon III et reçut le soutien de l’évêque de Pamiers. Cazenave disait qu’il faudrait penser à l’autre crime (celui de Cécile Combettes, tandis qu’Aspe n’était condamné que pour l’assassinat de Marie Guillaumet). Mais la justice interdit qu’on évoque le nom de Cécile Combettes. Il était hors de question de mettre en cause les magistrats. « Si la presse révèle quoi que ce soit, elle sera poursuivie ». Depuis l’affaire, tout sera fait pour qu’on l’oublie, il y aura une véritable « omerta » sur les évènements et l’instruction.
Revenons à la 1ère affaire de 1866, l’assassinat de Marie Guillaumet : Me Pillou s’était demandé ce que le curé de Miglos avait bien pu dire à l’évêque. En fait, avant d’être cabaretier, Aspe avait été un temps Frère des écoles chrétiennes à Toulouse. Il était cuisinier à l’institution. On a sa confession. Sur le plan établi pour l’enquête, il manquait les cuisines qui donnaient sur le vestibule du Noviciat (3). Aspe a avoué au curé qu’il avait attiré Cécile dans la cuisine, qu’il l’avait violée puis tuée, et cachée sous le four toute la journée. Puis la nuit, il était passé avec le corps sous le tunnel, avait rejoint le jardin, pris une échelle et jeté le corps. 19 ans plus tard, il assassinait Marie Guillaumet.
Plan de masse de l'institution St-Joseph
Comment sait-on que l’institution a eu une attitude équivoque ? Dès septembre 1847, elle envoya le véritable assassin (Aspe) dans d'autres établissements de l'Institut. D'abord à Villefranche en Aveyron, puis à Perpignan. En 1848, Aspe fut renvoyé de l'Institut des Frères. Il se réfugia à Besançon où il se fit employer comme domestique dans un couvent de Trappistes dont un de ses parents était le supérieur (4).
Goirand de la Baume et Nicolas Doms, qui étaient des gens brillants, avocats hors pair, ont fini couverts d’honneurs. Sic transit gloria mundi…
Ressources & liens externes :
- (1) Voir la fiche du Frère sur le site des Archives Lasalliennes : https://www.archives-lasalliennes.org/freres_pub.php
- (2) et (3) Voir sur le site Tolosana - Bibliothèque patrimoniale des universités toulousaines : http://tolosana.univ-toulouse.fr/notice/048234036
On peut consulter et télécharger l'ouvrage de Jean-Michel Cazeneuve (avocat) publié en 1848 :
Relation historique de la procédure et des débats de la Cour d'assises de la Haute-Garonne, dans la cause de Louis Bonnafous, Frère des écoles chrétiennes, condamné pour viol et assassinat sur la personne de Cécile Combettes.
Le plan de masse montre le vestibule du Noviciat (lettre J) et la cuisine attenante, lieu du crime (à gauche du vestibule sur le plan). Les deux planches illustrées et la légende se trouvent à la fin du tome 2 de l'ouvrage de Cazeneuve. - (4) Voir les pages relatant le parcours criminel de Jean_joseph Aspe sur le site Rosalis - Bibliothèque numérique de Toulouse.
- Crimino corpus - Musée d'histoire de la justice, des crimes et des peines : https://criminocorpus.org/fr/bibliotheque/page/53536/